mardi 25 septembre 2012

Des patients... à la chaîne


Par Natacha Dubey

Cet article a été publié dans l'édition de décembre 2011 de La Voix du SECHUM. (Syndicat des Employé(e)s du Centre Hospitalier de l'Université de Montréal)

Le système HEV vient de faire son apparition au CHUM. On nous l'a décrit comme un système de gestion de lits en temps réel, censé nous éviter de nombreux appels téléphonique et nous permettre d'avoir une idée globale des activités de notre département en un simple clin d’œil.

Quand on prend le temps de comprendre les implications de ce système, on ne peut que voir le lien direct avec ce qu'on appelle la ''Méthode Toyota''.  Ce nom inspire même aux moins initiés une image de chaîne de montage, où la productivité est de mise, souvent au détriment de la qualité du produit. Il est aussi synonyme d'engagement total des travailleurs envers l'entreprise et de gestion paternaliste et autoritaire de la production.

La méthode Toyota, aussi appelée ''lean management''  qui est en émergence dans le domaine de la santé se base sur des principes simples.  On rentabilise au maximum la force de travail des employés, on minimise les coûts, et on ''produit'' le plus de patients possibles. Pour ce faire, on utilise des outils, comme le système HEV, qui permet à tous de visualiser le rendement de chacun, tout en donnant l'impression aux employés qu'ils ont le pouvoir de créer l'impossible à partir des miettes qu'on leur donne.

Dans l'étude de satisfaction faite par McKesson pour son produit HEV, on cite–“le contrôle visuel est devenu un outil essentiel pour réguler le flux patient”. On parle de flux patient, reléguant les soins de santé à un niveau de production de masse, qui doit être effectuée le plus rapidement et en grand nombre possible.

Avec HEV, tout est calculé. Le temps en salle d'opération, le temps en salle de réveil, le temps que cela a pris au préposé pour vider la chambre après le départ du patient, le temps pris par l'entretien ménager pour nettoyer une chambre, le temps écoulé entre l'heure où un congé a été donné et l'heure réelle du départ du patient. Tous ces calculs, qu'en fait-on? On tente de nous faire croire que leur seule utilité réside dans la possibilité de prévoir à l'avance quels lits seront libres bientôt, quelle salle d'opération se libérera dans l'heure, quand est ce que le patient reviendra de salle de réveil, tout cela sans avoir à se parler. Dans un document servant à vendre le système HEV, il est écrit que l'on sauvera ainsi de 7 à 10 appels téléphoniques par jour. On vante aussi une réduction de 3 à 4 consultations informatiques par jour. Pour accomplir ces prouesses, on se retrouvera par contre à toutes les dix minutes, à pitonner sur des écrans tactiles.

Dans la réalité, que se passera t-il? Les actes de tous et chacun se retrouveront minutés, compilés. Les patients se retrouveront avec un personnel soignant qui leur fera sentir qu'ils devraient être partis à la seconde où leur congé est signé, parce que le compteur tourne, parce qu'on a notre moyenne à maintenir. Les employés se feront ramener à l'ordre pour une chambre qui a été défaite ou nettoyée moins rapidement qu'à l'habitude. Ce système crée une perte de marge de manœuvre des travailleurs dans la gestion de leur temps. Le petit 5 minutes qu'on prend pour offrir de bons soins, une écoute attentive à un patient, on sera portés à le couper, à le diminuer pour ne pas laisser s'accumuler les minutes sur le compteur, on se retrouvera moins outillés pour faire face aux imprévus, parce qu'on se mettra en retard dans notre horaire. Bref, on en reviendra à traiter nos patients comme une marchandise, qui défile sur un tapis roulant de chaîne de montage.

Avec le temps, ce sera ce qui est inscrit sur le coûteux écran du tout aussi coûteux programme qui deviendra la priorité, parce que c'est ce qui se calcule, ce qui se voit. Les poubelles déborderont, les planchers seront crottés, mais les départs se feront en un clin d’œil, on a des lit$ à remplir.

Le Virus Servox

Lire le témoignage
Un travailleur du CHUM dresse le portrait complet et rigoureux des ratés du système Servox utilisé dans la messagerie-transport. Bien qu'antérieur aux implantations massives du Lean, ce témoignage illustre bien l'une des critiques qu'on adresse souvent au Lean: comment ce sont les travailleuses et travailleurs qui doivent compenser pour les failles techniques de ces nouvelles méthodes censées améliorer les services et comment les statistiques sont compilées de façon à ne pas montrer ces failles. Les problèmes du système sont dus en grande partie à l'impossibilité de prévoir et de standardiser le travail à la minute près, surtout lorsqu'il s'agit de transporter des être humains. 

Quelques extraits:

«Des Prélèvements acheminés à ¨l’unité¨. Le système est incapable de les fusionner comme pouvaient le faire les RÉPARTITEURS(TRICES) à l’origine afin d’optimiser les déplacements. Au 8CD, deux messagers par jour sont affectés pour faire l’aller-retour des patients au RX pour accommoder Servox. Ces courses du 8CD sont également ignorées du système, car elles sont inscrites sous ¨AUTRES AFFECTATIONS¨.


Le système Servox est incapable de gérer les allers-retours des patients, ce qui n’était pas le cas avec les répartiteurs(trices) qui eux pouvaient gérer le 8CD sans problème, surtout les fins de semaines. Les tournées (prélèvements, dossiers, ordonnances) ont été réaménagées pour accommoder Servox au détriment des messagers, sans égard au rythme de chacun(ne). »

...

«Avant Servox, lorsqu’on allait chercher un patient pour un examen, il y avait un suivi, un lien, une chaîne entre réceptionniste, répartiteur(trice), messager, préposé(e) aux bénéficiaires, patients qui furent rompus par ce système qui du même coup est devenu cavalièrement expéditif, sans égard au respect et la dignité du patient.

Maintenant, on arrive au poste devant un fait accompli, où des patients peuvent avoir attendu de cinq à 35 minutes (selon le quart de travail, la demande, la disponibilité réduite des messagers) devant le poste, inconfortables, exposés au stress et à l’absence de confidentialité de l’unité de soins et cela bien malgré eux. Les chefs de services ne voulaient plus que le messager attende que le préposé installe le patient (autre coupure déguisé) mais le font payer très cher au patient, prolongeant sa durée d’attente soit en chaise, en civière ou en lit pour être ¨prêt¨ pour Servox. »
...

«Obligeant les demandeurs en cas d’urgence, d’avoir recours à leur préposés déjà débordés, plutôt qu’aux messagers, donc de ne pas utiliser le système (ce qui a pour effet de bien faire paraître les statistiques une fois de plus). Ici, il faut comprendre que les étages (unité de soins) doivent maintenant prendre ¨la responsabilité¨ de bien formuler les demandes (afin d’éviter les erreurs), ajoutant ainsi à leur fardeaux de tâches, alors que cela revenait à l’origine aux répartiteurs (trices) de la Centrale des Messagers. Les erreurs commises en utilisant ce système par le personnel des unités de soins augmentent exponentiellement, pénalisant les patients ! »

lundi 24 septembre 2012

3 août 2012: Réduction du temps d'attente à l'hôpital de Verdun : les heures supplémentaires y sont pour beaucoup

 



Article en réponse à une annonce à l'effet que la méthode Lean avait miraculeusement à elle seule fait disparaître des listes d’attentes immenses en radiologie à l'hôpital de Verdun. Ce court texte se veut une rectification par l’APTS qui soutient que la réduction des listes d’attente est attribuable entre autre aux nombreuses heures supplémentaires du personnel et qu’il ne faut pas être trop optimiste face à cette méthode. La représentante de l’Alliance Caroline Simoneau mentionne aussi que la liste d’attente s’est allongée de nouveau depuis cet été.

La dernière phrase : « La direction et les syndicats reconnaissent aussi que la méthode Lean a amélioré la situation et veulent continuer à l'explorer.»  démontre l’ambivalence des syndicats et le manque de critique claire sur la méthode Lean.


avril 2012: Les fausses promesses de la méthode Toyota



Dossier complet et très intéressant qui encore une fois, décortique les grands principes du Lean, avant de montrer quelles sont les conséquences de ce modèle sur les conditions de travail. Les auteurs s'attardent particulièrement sur l'idée de perte de marge de manoeuvre des salariés, comme quoi les employés qui ont toujours supporté les imprévus dans le travail n'ont plus le temps de le faire alors que ces imprévus même sont niés par un modèle qui croit pouvoir tout standardiser, tout prévoir. Le Lean, tout en soutenant reposer sur la participation des employés, tue en fait la créativité que ces derniers démontraient au quotidien.

 

 

Petit extrait audio de 4 minutes. Philippe Duport, journaliste en questions du travail, questionne Stéphane Vincent, éditeur de la revue française Santé et Travail, sur le dossier spécial consacré aux Fausses Promesses de la méthode Toyota.

9 août 2011: «On traite les patients comme dans une chaîne de production»





«Finie l'époque où les employés prenaient le temps de laver, tranquillement, les patients. Maintenant, les préposés utilisent la méthode des 3F, soit «fesses, face, fuck le reste», comme on peut le lire dans une lettre de M. Donaldson intitulée La dignité humaine en péril dans les CHSLD. »

Témoignage humain et courageux de deux préposés de Trois-Rivières qui dénoncent la routine de soins imposée dans les CHSLD de la région. Une nouvelle méthode «en vrak» commence à être implantée. Le travail est de plus en plus standardisé et les employés ont l'impression de traiter les résidents en série sans pouvoir respecter leurs besoins spécifiques. La direction prétend vouloir instaurer un milieu de vie alors que les deux préposés notent plutôt des situations irréalistes et indignes.

«À sept heures, deux préposés aux bénéficiaires à la fois, on entre dans la chambre des résidents, on les réveille, on leur lave les fesses, on les habille du bas seulement, on les assoit dans une chaise roulante en jaquette. On les met dans le corridor. Tout le monde passe au cash. Ensuite, on les amène à la salle à manger. Ceux qui ne mangent pas assez vite, un préposé s'en occupe: il en fait manger plusieurs à la fois. Imaginez un instant la scène: être obligé de manger en groupe en vêtement de nuit pour le haut, sans que la toilette du matin soit terminée»

29 mars 2012: Maisonneuve-Rosemont: situation «inhumaine» aux urgences






Article faisant part des plaintes des médecins à propos de situations qu’ils et elles qualifient d’inhumaines aux urgences de l’hôpital Maisonneuve-Rosemont. Le taux d’occupation des lits dépasse la capacité des hôpitaux et des occupations de 150% ne sont  pas rares. Difficile de maintenir la « dignité » dans le traitement quand tout refoule de partout. La solution exigée est l’ajout pur et simple d’une centaine de lits. L’ex-ministre Bolduc misant plutôt sur la méthode Toyota et sur la construction d’un hôpital neuf, il n’y a actuellement que trois lits supplémentaires prévus dans l’agrandissement de l’urgence.

L’ajout de postes et de lits est parfois une solution beaucoup plus simple et logique que de tenter de réorganiser sans cesse avec ce que l’on a.


24 mars 2010: Les hôpitaux ne sont pas des chaînes de montage




Article du Devoir faisant part d’une enquête menée par un professeur de sociologie de l’UQAM, Angelo Soares, qui a examiné les résultats désastreux de l’implantation du modèle Toyota dans le CSSS de Montréal Nord. Il a conclu que ce modèle industriel n’est pas pour la santé, que l’humain n’est plus le centre d’intérêt dans cette méthode de gestion. Augmentation du stress, impossibilité de communiquer avec les instances supérieures, détérioration de la qualité du travail; 65% des travailleurs et travailleuses sentent de l’injustice dans ce système. Le document d'enquête à été distribué à 1275 personnes qui travaillent dans les centres de ce CSSS, avec la collaboration de l’APTS, la FSSS-CSN et la FIQ. Une représente de l’APTS décrit la gestion oppressive du CSSS qui tente de mettre à l'écart des réunions les éléments refusant de se taire. Angelo Soares met l’emphase sur l’aspect incompatible de cette méthode au milieu de la santé.

Cette enquête est l’une des seules qui a analysé rétroactivement le sentiment et la situations des gens qui subissent Toyota en direct sur le plancher. Elle ne fait pas que s'intéresser à la quantité de soins donnés et tire une conclusion idéologique contre la gestion économiste dans le système de santé.

Les résultats de l'enquête sont disponibles ici.

dimanche 23 septembre 2012

11 janvier 2009: Stress, surmenage, la mort en silence de milliers de travailleurs japonais


Lire l'article de l'AFP



La productivité japonaise nous est vantée depuis des décennies. Seulement, elle a un revers. Le portrait du monde du travail au Japon, un monde de performances extrêmes et de souffrance, est plus que troublant. Dire qu'en appliquant la méthode Toyota nous verrons apparaître ici des milliers de morts par surtravail serait un raccourci rapide et malhonnête. Il faut se pencher sur la culture japonaise et plus particulièrement sur leur rapport au travail pour comprendre ce surmenage sans issue. Au Japon, l'individu est appelé à se sacrifier pour la collectivité. C'est en étudiant cette réalité et l'histoire du pays que l'on peut comprendre les concepts piliers de la philosophie Lean. Le Japon possède une culture et une histoire des plus riches, mais nous sommes tout à fait en droit de nous inquiéter de voir leurs méthodes et leur philosophie de travail s'implanter ici. L'usine Toyota est d'ailleurs un exemple flagrant de comment l'entreprise cherche à contrôler la totalité de la vie de l'individu. Dans Toyota, l'Usine du désespoir, écrit en 1973, l'auteur décrit la relation de dépendance entre les employés et l'entreprise. Locataires dans des buildings surveillés appartenant à l'usine, ils sacrifient une autre partie de leur salaire pour les mauvais repas servis chez Toyota et tentent d'économiser pour s'acheter la voiture de leur rêve; celle qu'ils s'épuisent à fabriquer. Le documentaire Toyota City réalisé en 2011 nous montre une réalité aujourd'hui identique, où l'usine possède et contrôle presque tous les services de la ville. «Toyota contrôle notre vie quotidienne. On nous explique comment nous conduire dans la vie, comment faire du sport, on nous traite comme des enfants. Mais on dépend tellement de Toyota que personne n'ose en dire du mal. » livre un jeune cadre.

Dans un tel contexte, la critique devient impossible, voire dangereuse. Les deux auteurs du documentaire, Léna Mauger et Stéphane Remael, n'ont pas pu filmer à l'intérieur des usines Toyota et ont eu du mal à convaincre des habitants de Toyota City de participer à leur film. « Il est très difficile de faire parler les employés de la firme, et les habitants de Toyota City en général. Ils ont peur d’être écoutés, entendus, observés par cette entreprise qui contrôle l’économie de la ville. »


Écouter le documentaire Toyota City de Léna Mauger, et Stéphane Remael sur France5.fr

Juillet 2011: La méthode «Lean», le retour du pire du travail à la chaîne




Cet article s'attarde surtout à l'implantation du Lean dans les usines en France. Les travailleurs disent faire de plus en plus de gestes répétitifs alors qu'auparavant leurs tâches étaient diversifiées. Les ergonomes du travail soutiennent qu'imposer un tel travail est mal connaître l'homme. Déjà, il risque de se blesser. Et les déplacements qu'on tente de réduire au minimum sont en fait des moments où le travailleur a quelques secondes pour dégourdir ses muscles, être en contact avec ses collègues et réfléchir aux prochaines étapes. En tentant de compresser le travail à l'extrême, on crée autant de problèmes qu'on en élimine.

«Appliquée ainsi, la méthode ne peut faire gagner de la productivité que pendant quelques mois. Ensuite, les troubles musculosquelettiques, les arrêts maladie et la démotivation gagnent les salariés. Toyota, Renault, ou encore Atos ont connu de tels ravages. »

Par rapport au Lean appliqué au service à la clientèle, les ergonomes du travail expliquent qu'en tentant de tout réduire à une liste de procédures, on étouffe la capacité des salariés à régler les problèmes au cas par cas en usant de leur propre logique.

«On empêche les salariés de faire du travail bien fait. Ils doivent suivre la procédure alors qu’ils savent que, parfois, cela va nuire à la qualité du service qu’ils vont produire pour un client. C’est une négation complète de l’identité professionnelle, qui est basée sur la capacité de l’employé à anticiper ou à résoudre les cas particuliers [...] On les empêche de se développer, de se démarquer socialement dans l’entreprise, de collaborer. Le travail, sous cette forme, rend les gens malades.»

Note: Les ergonomes du travail observent le travail dans les entreprises et proposent des changements de façon à préserver la santé des employés et améliorer l'efficacité. C'est une spécialité plus intégrée au monde du travail en France.

2010: TOYOTA CITY



Symbole international de productivité, Toyota a durement subi la crise économique et le rappel des pièces défectueuses. Et depuis, certains commencent à critiquer ses méthodes. Voilà un documentaire -très joli à regarder- construit autour du témoignage d'individus salariés ou ex-salariés de Toyota et vivant à Toyota City. 

«Les Morimoto ressemblent à la famille idéale que Toyota montre en exemple dans le monde entier. Ils roulent en Toyota, lisent des livres sur Toyota, font du sport sur les terrains de la firme et envoient leur fils à la crèche Toyota.» 



Autour du géant automobile s'étend une cité qui vit au rythme des usines (Toyota en compte sept). Les appartements, les terrains de sport et les garderies appartiennent à Toyota. Les heures d'ouverture des commerces sont adaptées aux horaire des employés. Coupés du monde, les habitants de cette ville ne vivent que par et pour Toyota. Il en résulte que l'entreprise exerce un contrôle excessif sur la vie de ses employés. Craignant des conséquences économiques, peu de salariés ont osé parler de leur situation dans ce documentaire. Les usines, elles, sont hors d'atteinte des caméras. 

«Toyota contrôle notre vie quotidienne. On nous explique comment nous conduire dans la vie, comment faire du sport, on nous traite comme des enfants. Mais on dépend tellement de Toyota que personne n'ose en dire du mal.»  un jeune cadre.

«Pour moi Toyota, c'est comme la Corée du Nord, un pays sans liberté ni démocratie. La compagnie menace de licenciement ceux qui sympathisent avec moi. Ils ont même interdit aux autres salariés d'assister à mon mariage.» Tadao Wakatsuki, à l'origine d'un syndicat indépendant chez Toyota.

La réalité des salariés dans ce film colle avec la réalité des travailleurs dans l'ensemble du pays: de longues heures, temps supplémentaire selon les désirs de l'entreprise, stress, suicides. Depuis la crise, des travailleurs ont été licenciés par milliers, alors que l'un des piliers du toyotisme était l'emploi à vie. Le système Toyota vacille. 

Mais 2003: Le KAIZEN: ses principes et ses conséquences pour les ouvriers et les syndicats

Pour consulter le pdf.

Cette revue de la littérature a été réalisée à l'UQAM en 2003 à la demande d'un syndicat qui s'interrogeait sur les méthodes Kaizen (amélioration continue). Ce travail dépasse les notions de base du Lean et aborde en profondeur plusieurs aspects du Kaizen, dont ses implications psychologiques et sociales. On y traite de l'auto-culpabilisation des travailleuses et travailleurs en cas d'échec de l'entreprise et de la surveillance et répression entre collègues. Notons le survol des particularités de la culture et de l'emploi au Japon qui ont permis le développement du Kaizen et des autres principes du toyotisme. 

Le document se termine par quelques études de cas d'implantation du Kaizen au Québec et un historique de l'attitude syndicale face à ces nouveaux modes d'organisation.

29 mars 2010: 'Toyota Man' image taking a hit




Le 'Toyota Man' est le produit du Toyota Way, la philosophie de gestion à l'origine du succès économique de l'entreprise. Le 'Toyota Man' travaille de longues heures, fait du temps supplémentaire non payé et remplit des rapports de qualité pendant ses temps libres. Bref, il se sacrifie pour l'entreprise.

«For the Toyota Man, the demands involve following rigid military-style rules that teach workers to sacrifice individuality for the good of the group. The guidelines dictate nearly every facet of employees' day — how they turn corners while walking on company property, where they eat their lunch and even how they conduct themselves at home. »

Un professeur de gestion japonais, Masaki Saruta, accuse l'entreprise Toyota d'opérer une culture de contrôle et met en garde les usines qui désirent copier ses méthodes. Si la compagnie dit seulement posséder quelques règles comme toutes les entreprises, le professeur n'a pas peur d'évoquer une discipline militaire, Toyota arrivant en définitive à modeler le comportement de ses employés autant au travail qu'à la maison. L'article évoque la situation de Toyota City, la ville qui vit au rythme de l'usine. Ce que Toyota défend comme une contribution à la société est plutôt perçu comme de l'ingérence. À Toyota City, tout est relié à Toyota et plusieurs employés siègent au conseil de ville. À l'école secondaire, les étudiants apprennent à opérer une chaîne de production à la manière Toyota. L'usine crée déjà sa future génération de 'Toyota Men'.


samedi 22 septembre 2012

mars 2010: La santé malade de la gestion

Voir le pdf.
 Voici les résultats d'une enquête sur le terrain menée par Angelo Soares auprès de travailleuses et travailleurs de la santé du CSSS Ahuntsic/Montréal-Nord à la demande des trois syndicats les représentant. Diverses variables ont été étudiées pour mesurer le niveau de détresse psychologique et d'épuisement professionnel. D'autres variables sont de type organisationnelle: charge de travail, contrôle, reconnaissance, coopération, justice organisationnelle, etc. Enfin, les impacts des restructurations sont mesurés au niveau de la qualité du travail, de la satisfaction au travail. Le harcèlement psychologique faisait également partie du questionnaire. Angelo Soares est professeur au Département d'Organisation et ressources humaines de l'École des Sciences de la Gestion à l'Université du Québec à Montréal - UQAM. Il s'intéresse particulièrement au vécu des salariés: harcèlement psychologique, émotion et santé mentale au travail, la qualité de vie, l’épuisement professionnel, le stress, etc.

 Il y a énormément de constats intéressants à souligner dans cette recherche. Nous ne pouvons que vous inviter à la lire, d'autant plus qu'elle est concise.

Livre: Toyota; l'usine du désespoir (journal d'un ouvrier saisonnier

Pour accéder au livre gratuitement.
Avec beaucoup de sensibilité, ce journal nous entraîne dans la réalité quotidienne des salariés de Toyota dans les années 1970. Kamata Satoshi nous raconte qui sont ses collègues et à quoi ils aspirent. Il raconte les longues heures de travail à la chaîne et l'épuisement. Débarqués chez Toyota avec l'idée d'y gravir les échelons, très peu réussissent pourtant à tolérer la cadence. Kamata arrive à exprimer en détails, mais simplement, comment l'entreprise modifie le travail sur la chaîne de façon à produire toujours plus. Sans que les principes Toyota ne soient énoncés, nous pouvons voir comment ils se vivent de l'intérieur de l'usine et leurs impacts sur les individus. Une lecture des plus intéressantes.


Extraits:

«Pour retrouver sa position d'origine il faut dépenser une énergie formidable et si l'on fait une maladresse la chaîne s'arrête. Mais si la chaîne s'arrête, les heures de travail vont s'allonger et il y aura des heures supplémentaires. C'est ainsi que, uniquement pour ne pas être en retard, pour ne pas causer d'ennuis aux copains, on est amené à s'y mettre de toutes ses forces. C'est ainsi aussi que, suivant les prévisions, la production peut augmenter. Mais nous, l'évasion, on ne pourra jamais la réussir.»
 ***
«Ça fait donc deux semaines que je travaille, mais quand je reviens au foyer je ne fais que dormir ; j'ai décidé de ne pas penser aux questions du travail. Comme je suis crevé, je n'en ai plus la force et, quand je me mets à le faire, je ressens une fatigue encore plus intense...
***

Voyant que la lampe de secours s'est allumée, le chef d'équipe accourt et me dit, d'un air ahuri : « T'as pas encore appris, regarde bien ! » Se tournant vers moi, il me montre alors ostensiblement comment faire et, soulignant l'endroit précis où il faut s'appliquer, il accompagne son geste d'un « voilà, c'est ça » sans réplique.

La façon de faire, je l'ai déjà apprise et je pensais seulement que je n'arrivais pas à suivre la vitesse, mais quand il m'a dit : « t'as pas encore appris », ça m'a fait un choc. Ce verbe apprendre finalement, délaissant toute logique, ne peut vouloir dire que s'habituer, s'accorder à la vitesse de la chaîne.
»

***

 «Avec lui, ça fait donc deux apprentis qui avaient l'espoir de devenir titulaires qui disparaissent. Les gars qui ont déjà travaillé ailleurs n'arrivent vraiment pas à s'habituer ici. Ne restent que ceux qui ont une santé solide, une volonté à tout épreuve, une résistance confirmée, une certaine habileté. Ou plutôt non, c'est ceux qui s'en vont qui ont raison, ils veulent rester des hommes et ceux qui restent sont peut-être des anormaux. Ceux qui, en tant qu'hommes, conservent une certaine fierté, ceux qui ne peuvent pas supporter d'être robotisés, ceux qui sentent qu'on les oblige à renoncer à tout ce qu'ils sont pour suivre une vitesse, un rythme, un ordre des opérations fixés d'avance, ceux qui sentent qu'on leur interdit même de penser et qui jugent que c'est là une vraie déchéance humaine, ceux-là s'arrêtent les uns après les autres, n'est-il pas vrai ?»

***

«Mon voisin Hagiwara, en reprenant son souffle, murmure : « Quand la chaîne s'arrête, j'ai la tête qui sonne. »

Je rentre avec Ogi, l'apprenti, et le taquine en disant : « Dis donc, jusqu'à la retraite, t'en as encore pour trente-neuf ans », et il me répond en souriant comme toujours : « Je serai mort avant ! »

***

«En rentrant chez lui, il peut voir, empilées dans un camion en route vers la chaîne d'assemblage, sortant tout droit de l'atelier de peinture, les pièces qu'il a touchées de ses mains durant une minute et quelques secondes. Mais il les regarde avec froideur et indifférence. Les boîtes de vitesses se sont métamorphosées au point qu'il est incapable de reconnaître son œuvre, ce qu'il y a mis de lui-même. Il a alors l'impression que ce n'est pas lui qui a fabriqué ces pièces : elles lui font ressentir seulement l'immense fatigue qui a détruit en lui quelque chose de très important et qui l'a usé un peu plus.»

Livre: Salariés, le Lean tisse sa toile et vous entoure


«Tel est le titre de l'ouvrage écrit par Philippe Rouzaud, consultant au cabinet de conseil Secafi. Il y retrace l'historique du Lean, son importation dans les pays occidentaux et les impacts sur les conditions de travail qui en découlent. Dans le souci d'aider le lecteur encore néophyte à se construire une vue d'ensemble sur le Lean et ses problématiques.»1    

Un bijou pour comprendre les bases du Lean. Chaque principe est expliqué clairement et simplement, avec illustrations à l'appui lorsque possible. Il contient des exemples d'implantation du Lean dans trois milieux de travail différents, dont l'hôpital.

Malheureusement Salariés, le Lean tisse sa toile et vous entoure n'est pas tenu en stock au Québec. Les versions électronique ou papier peuvent être commandées sur internet.

Extraits:

«Et même lorsque le débat s'engage autour de l'arrivée du Lean dans l'entreprise, la capacité à faire des propositions reste très difficile pour les salariés et leurs représentants.

Le projet, porté par la direction et souvent soutenu par un cabinet conseil, est présenté comme nécessaire (pour le client, la compétitivité de l'entreprise), progressif (le fameux «pas à pas»), moderne («toute entreprise digne de ce nom le fait»), efficace («tous les leaders l'ont fait») et tourné vers les opérateurs (aspect participatif). Comment dire non!? » 

...

«Ensuite, le patient n'est pas présent dans l'analyse On ne le voit pas au centre du travail des salariés de l'hôpital. Fait paradoxal, quand on sait que certains promoteurs du Lean dans les hôpitaux rappellent à l'envi que le patient est présent pendant la majeure partie du processus, qu'il est le produit et que le but de l'activité est de résoudre son problème. Ce n'est sans doute pas un hasard si la plupart des exemples présentés concernent le bloc chirurgical où la relation au patient anesthésie est, par définition, réduite au minimum! »


1 http://www.actuel-hse.fr/securite-travail-environnement/sante-securite/a-164181/salaries-le-lean-tisse-sa-toile-et-vous-entoure.html

vendredi 21 septembre 2012

Novembre 2006: Conditions de travail et santé au travail des salariés de l'Union Européenne; des situations contrastées selon les formes d'organisation



Voir le pdf
Cette étude est la plus citée pour parler des impacts du Lean sur la santé. Elle a été menée par Antoine Valeyre pour le Centre D'études de l'Emploi. Elle compare entre elle quatre formes d'organisation du travail en Europe: taylorienne, à structure simple, apprenante et Lean. On y découvre que le Lean, alors qu'il se vante d'être une amélioration des précédents modèles de travail à la chaîne, est sous plusieurs aspects pire que le taylorisme, notamment pour ce qui des gestes répétitifs, des longues heures de travail, des pressions ressenties dans les délais de production, des interruptions imprévues du travail, du stress, de l'insomnie, etc.